Le continent de Lustrie
En dehors des Royaumes du Chaos, il est peu d’environnements dont le caractère hostile puisse rivaliser avec celui des jungles de Lustrie, un territoire verdoyant couvert d’une forêt ancienne si dense que sa voûte semble avoir éclipsé le ciel. Des arbres plus vieux que la race des hommes y masquent le soleil, leurs larges troncs se fondant dans l’entrelacs des végétaux grimpants. L’air moite y est si étouffant que tout intrus à sang chaud devient rapidement une proie de choix pour la maladie. Des langues de brume épaisse flottent paresseusement au-dessus du sol parmi le tapis de broussailles, au travers duquel il est pratiquement impossible de se frayer un chemin sans perdre rapidement le sens de l’orientation.
Peu d’explorateurs en puissance vivent cependant assez longtemps pour désespérer de s’être perdus. La Lustrie regorge d’un vaste nombre d’espèces, allant de la plus petite puce venimeuse aux monstrueux prédateurs identiques de taille comme de tempérament aux féroces dragons du Vieux Monde. Le continent est infesté de bourbiers et de marécages où, entre deux poches de gaz, un étranger peut s’enfoncer jusqu’au cou alors qu’il se croyait sur terrain ferme. Dans cette vase puante serpentent des vers aveugles, qui s’enfoncent sous la peau des hôtes infortunés dans le sang desquels ils pondent leurs oeufs, les condamnant à une lente agonie lorsque leurs larves se mettent à éclore.
La plus minuscule araignée, le parasite le plus insidieux peut encore être détecté, mais un danger bien pire menace : les effets toxiques des miasmes qui pullulent dans l’humus décomposé. Une paire de bottes, même de la meilleure facture, finira par laisser suinter un peu de cette boue écoeurante, le pied se sera nécrosé en quelques heures, et en quelques jours le voyageur se sera vidé de son sang. Les mille-pattes carnivores et les fourmis charognardes qui grouillent en ces lieux réduisent vite le cadavre à l’état de squelette, puis le terreau acide aspirera lentement le moindre osselet.
Toutes sortes d’insectes viennent bourdonner autour des têtes de ceux qui pataugent dans les marais la où la jungle se fond avec la côte : au mieux, leur piqûre ne provoque que des hallucinations légères, ou des infections qui rongent la chair dans le pire des cas. C’est ici l’habitat de sangsues longues comme le bras dont la morsure indolore leur permet de se nourrir sans être découvertes jusqu’à ce que leur victime exsangue s’évanouisse et se noie. Ces infortunés font une proie facile pour le crocodile qui attend patiemment dans l’ombre des mangroves et ne déchaîne sa colère que lorsqu’un étranger l’approche par inadvertance. Une goutte de sang suffit de plus à attirer des bancs de piranhas voraces dont la faim frénétique donne lieu à de sinistres banquets aquatiques.
La nuit résonne de longs rugissements hideux, le sol tremble sous les pas de ses habitants démesurés, rendant tout sommeil profond impossible. Lorsque s’éveillent ceux qui parviennent néanmoins à trouver le repos, souvent après s’être écroulés de fatigue, il n’est pas rare qu’un des leurs manque à l’appel, traîné dans le noir par un quelconque prédateur silencieux. L’atmosphère de l’aurore est pleine de nuages de tiques et de moustiques, préférables cependant aux insectes géants qui vrombissent dans le crépuscule. Des téradons aux ailes membraneuses passent d’arbre en arbre à la poursuite de leurs proies. La chair tendre des voyageurs est une douceur peu coutumière pour ces volatiles au bec acéré.
S’il parvient malgré tout à s’aventurer suffisamment loin au coeur de la jungle, l’homme ne commence qu’alors à découvrir des monuments abandonnés et des totems jalonnant l’océan de végétation infinie. Ces icônes d’aspect grossier précèdent les quelques rares endroits où réapparaît un ciel livide : les clairières accueillant à perte de vue les pyramides à plateaux et les bassins de frai des hommes-lézards. Battus perpétuellement par les tempêtes tropicales et les cyclones, les édifices mégalithiques de ces cités-temples tissent un réseau invisible d’énergie tellurique s’étendant sur tout le continent. Tant était grand le talent de ceux qui les firent se dresser qu’en dépit de la fureur des éléments ils demeurent, immuables, alignés tels des crocs sur le vert horizon de Lustrie.